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La démolition est-elle une sanction disproportionnée pour un trouble anormal de voisinage ?

Dans un arrêt du 24 janvier 2023, la Cour d’appel de Rennes a jugé que non dans une affaire suivie par notre cabinet pour un voisin subissant une perte d’ensoleillement importante dans le « grain de beauté » des Côtes d’Armor.

Il est désormais constant que l’action en démolition sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage est indépendante de la réglementation d’urbanisme. Il est donc inutile pour le voisin gênant de se réfugier derrière son permis de construire pour tenter de faire obstacle à la mesure de démolition sollicitée (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 20 octobre 2021, 19-23.233 19-26.155 19-26.156, Inédit).

En effet, un permis de construire n’a pas d’autre objet que de contrôler la légalité du projet au regard des seules règles d’urbanisme applicables. Ainsi, il est toujours délivré sous réserve du droit des tiers. Partant, il ne saurait avoir aucune incidence sur les actions civiles.

Tout au plus, le voisin attaqué peut seulement faire valoir les contraintes d’urbanisme pour apprécier l’environnement dans lequel les troubles sont ressentis.

Sur ce point, nul n’est assuré de conserver son environnement qu’un plan d’urbanisme peut toujours remettre en question (Cass. 3e civ. 21 oct. 2009, n° 08-16.692).

Dès lors, pour apprécier l’anormalité du trouble, les juges peuvent tenir compte des contraintes inhérentes à la construction en litige. Pour autant, l’implantation d’un immeuble en milieu urbanisé n’exclut pas par principe le trouble anormal du voisinage. Aussi, les juges réalisent un examen au cas par cas de l’environnement urbain. La situation d’un immeuble dans un quartier pavillonnaire d’une petite station balnéaire n’est en effet pas comparable avec celle d’un immeuble situé dans le centre-ville d’une grande agglomération déjà très densément construite.

Ainsi, il appartient au voisin gênant de justifier son choix architectural pour établir que les troubles générés étaient inévitables pour faire écarter sa responsabilité à ce titre. En l’espèce, l’implantation d’une façade de près de 9 mètres de hauteur sur une longueur de près de 30 mètres en limite séparative à l’Ouest du fonds voisin n’était pas justifiée pour la construction d’une maison individuelle sur un terrain de plus 1 500 m².

La perte d’ensoleillement importante générée sur les divers agréments du fonds voisin (jardin, terrasse et fenêtres) constituait donc un trouble anormal du voisinage dans ces circonstances.

Du reste, il appartenait aux juges de déterminer la solution réparatoire de ce trouble.

En l’état du droit, le principe de la réparation intégrale demeure. La victime doit être replacée dans la situation antérieure dans laquelle elle se trouvait avant la réalisation du dommage. Cette réparation doit être exécutée soit en nature, soit par équivalent. Il appartient au juge d’apprécier souverainement les modalités les plus adaptées à la réparation du dommage.

Sur d’autres fondements que la théorie du trouble anormal du voisinage, la Cour de cassation a déjà admis un contrôle de proportionnalité d’une mesure de démolition, notamment s’agissant d’un empiètement sur l’assiette d’une servitude de passage (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 décembre 2019, 18-25.113, Publié au bulletin) ou sur la violation du cahier des charges d’un lotissement pour une construction qui ne générait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis pour les voisins (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 13 juillet 2022, 21-16.407, Publié au bulletin).

S’agissant des actions fondées sur le trouble anormal du voisinage, la Cour de cassation a indiqué qu’une telle mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété (Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 23 octobre 2003, 02-16.303, Publié au bulletin) et au droit au respect de la vie privée et familiale (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 22 octobre 2020, 18-24.439, Inédit).

Une proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile enregistrée au Senat, prévoit de rendre force de loi à cette jurisprudence sur le contrôle de proportionnalité :

La réparation en nature ne peut être imposée à la victime.

Elle ne peut non plus être ordonnée en cas d’impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime.

En l’espèce, la Cour d’appel de Rennes a opéré ce contrôle de proportionnalité en comparant le coût estimé des travaux de démolition et la perte de valeur vénale du bien voisin. Elle a ainsi jugé que la mesure de démolition sollicitée n’était pas disproportionnée dans la mesure où le coût des travaux de démolition restait inférieur à la perte de valeur vénale du bien voisin.

L’adversaire avait formé un pourvoi contre cet arrêt en faisant principalement grief à la Cour cette approche comptable du contrôle de proportionnalité.

A titre accessoire, il faisait également grief à la Cour de ne pas avoir pris en compte la moins-value résultant de cette mesure pour sa construction dans le cadre de ce contrôle.

Il s’est finalement désisté de ce pourvoi.

La Cour de cassation ne pourra donc pas, à l’occasion de cette affaire, préciser les modalités de ce contrôle de proportionnalité.

Cependant, on ne voit mal sur quel autre critère objectif pourrait s’opérer un tel contrôle de proportionnalité.

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