Le Tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a récemment appliqué un important revirement de jurisprudence de la Cour de Cassation concernant le sort des baux ruraux dans le cadre d’un plan de cession d’exploitation agricole en liquidation judiciaire.
Jusqu’alors, les bailleurs pouvaient faire obstacle à la cession en imposant leur choix de preneur.
Désormais, les juridictions peuvent attribuer les baux ruraux au candidat présentant la meilleure offre, dans l’intérêt des créanciers. Cette nouvelle interprétation du Code de Commerce marque un tournant majeur pour les procédures collectives dans le secteur agricole.
Quand la jurisprudence s’applique
La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en interprétant l’alinéa 3 de l’article L. 642-1 du Code de commerce dans l’intérêt des créanciers de la procédure collective, et non suivant la volonté des bailleurs d’attribuer leur bail rural aux preneurs de leur choix. Cass. com., 23 oct. 2024, no 23-50.013, FS–B (cassation partielle CA Poitiers, 27 juin 2023)
Cette décision a immédiatement été appliquée par le Tribunal judiciaire de Saint-Brieuc statuant sur un plan de cession le 29 novembre 2024.
La Cour d’Appel de Rennes, saisie d’un recours des bailleurs a confirmé le jugement déféré en appliquant strictement la nouvelle interprétation de la Cour de Cassation. C.A RENNES 18 mars 2025 N° RG 24/06641 et N° RG 24/0659
L’article L. 642-1, alinéas 1 à 3, du Code de commerce dispose : « La cession de l’entreprise a pour but d’assurer le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d’apurer le passif. Elle peut être totale ou partielle. Dans ce dernier cas, elle porte sur un ensemble d’éléments d’exploitation qui forment une ou plusieurs branches complètes et autonomes d’activités.
Lorsqu’un ensemble est essentiellement constitué du droit à un bail rural, le tribunal peut, sous réserve des droits à indemnité du preneur sortant et nonobstant les autres dispositions du statut du fermage, soit autoriser le bailleur, son conjoint ou l’un de ses descendants à reprendre le fonds pour l’exploiter, soit attribuer le bail rural à un autre preneur proposé par le bailleur ou, à défaut, à tout repreneur dont l’offre a été recueillie dans les conditions fixées aux articles L. 642-2, L. 642-4 et L. 642-5. Les dispositions relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles ne sont pas applicables.
Toutefois, lorsque plusieurs offres ont été recueillies, le tribunal tient compte des priorités du schéma directeur régional des exploitations agricoles mentionné à l’article L. 312-1 du Code rural et de la pêche maritime ».
Ce texte a dû confronter deux ordres publics contradictoires :
- l’ordre public du statut du fermage, selon lequel le bail rural est incessible en application de l’article L. 411-35 du Code rural (alinéa 3 du texte cité ci-dessus), hors le cadre familial. Le législateur avait ainsi aménagé la prohibition de la cession du bail rural en autorisant le bailleur à « attribuer » son bail à tout preneur de son choix, même en dehors du cadre familial, en amendant l’article L. 642-1 du Code de commerce ;
- l’ordre public des procédures collectives, dont l’un des objectifs concernant le plan de cession est de permettre, notamment, de désintéresser le plus grand nombre des créanciers par l’offre financière du candidat qui sera retenu par le tribunal.
Par quatre arrêts successifs, la Cour de Cassation avait posé le principe selon lequel l’ordre public du statut du fermage l’emporte sur la loi spéciale en matière de procédure collective.
Elle avait institué la règle selon laquelle le tribunal ne peut attribuer un bail rural à un repreneur choisi par lui qu’à défaut, pour le bailleur, de demander l’attribution du bail au preneur qu’il propose, et que cette priorité accordée au preneur désigné par le bailleur s’applique même lorsque les biens de l’exploitation agricole font l’objet de plusieurs baux.
Dans ces circonstances jurisprudentielles, le bailleur, en choisissant un « preneur » de son choix pour exploiter les terres précédemment mises en valeur par le débiteur en liquidation judiciaire, pouvait à lui seul faire obstacle à la cession de la ferme au prix permettant de désintéresser le maximum des créanciers.
En d’autres termes, le Tribunal ne pouvait pas attribuer la ferme au candidat offrant le meilleur prix puisque le bailleur pouvait refuser d’attribuer son bail à ce candidat.
Cela est désormais « terminé »
Le Tribunal peut désormais, en présence de plusieurs baux ruraux, imposer aux bailleurs d’attribuer leurs baux ruraux au candidat qui présentera la meilleure offre en termes de prix, de conservation de l’emploi et de préservation de l’environnement.
Pour en savoir plus
Pour toute question relative à la cession d’exploitation agricole ou au sort des baux ruraux en procédure collective, le Pôle Agricole du cabinet KOVALEX est à votre disposition pour vous accompagner efficacement dans ce type de dossier.